Son souffle se coupa, brusquement. Un coup sec résonna au loin. Par pur réflexe de survie elle se plia en deux pour faire repartir sa respiration, un liquide visqueux et au goût de fer lui remonta en travers de la gorge. Entre sa poitrine et son abdomen apparaissait une grande tache sombre marquant le point de l’impact. Une goutte écarlate passa ses lèvres pour s’écraser sur le sol crasseux. Sans savoir vraiment pourquoi elle sentit sa vision se troubler et son cœur accélérer violemment dans sa poitrine comme s’il allait exploser. Son corps s’effondra dans la poussière jaune et autour d’elle volaient des milliers de sons qui se fondaient en un magma sonore indéchiffrable, entre le bourdonnement et un sifflement sourd.
Dans son dos quelque chose se déchira.
Puis plus rien. Un néant calme et immobile dans lequel plus rien n’était, un vide immense et infini. Et dans ce vide profond une douce lumière apparut, une porte lumineuse et pure. La lumière l’enveloppait tendrement sans pour autant la toucher, son corps baignait dans ce faisceau de calme et de silence.
Plus rien n’existait, ni le temps, ni le bruit assourdissant des bombes, les os broyés, les pleurs, le sang versé dans la terre humide, les chairs déchiquetées par les éclats. Tout était suspendu dans cette pureté relaxante et protectrice.
Plus rien n’était, plus rien n’avait de raison d’être. Sans qu'elle se souvienne de s’être à un moment levée elle avança en un geste confiant vers la source de toute cette bienveillance et de toute cette quiétude. Ses ongles cassés frôlèrent la clarté et une vague de chaleur apaisante envahit tout son être.
Elle ne ressentait rien, elle ressentait tout.
La lumière l’appelait, au bout du tunnel elle voyait tout ce qu’elle avait cherché : une raison d’avoir survécu jusque-là, une raison d’avancer toujours plus, de braver chaque obstacle, de revenir en vie de chaque mission, couverte dans un mélange de sang et de fatigue existentielle. Toujours emplie de cette protection parfaite elle fit un pas vers l’avant. Soudain, de l’autre côté un éclair jaillit, aveuglant.
La lumière, saccadée, la tira violemment vers l’arrière, plantant ses griffes avides dans sa peau, arrachant encore plus ses chairs meurtries qui avaient commencé lentement à se refermer. Elle voulut lutter, courir vers la douceur, mais un second éclair l’emporta. Son dos s’arqua, elle rouvrit les yeux, brutalement.
Tout était blanc, immaculé, parfait.
Un nouvel éclair jaillit et tout redevint bruyant, assourdissant. Tout revint plus puissant, plus violent.
Les cris, les bips, les courbes de l’électrocardiogramme et le défibrillateur. La douleur. Au bout de son champ de vision une silhouette fine se détacha, blanche, mais sombre. Fragile et fine.
« - Tu m’entends ? »
La voix de Luka résonna dans sa tête, oui elle l’entendait, mais tout était trop brillant, trop fort, trop présent, trop réel. S’appuyant difficilement sur ses mains engourdies elle voulut relever son dos, mais le bandage autour de sa poitrine l’en empêcha. Elle retomba lourdement sur le matelas et laissa échapper une insulte dans sa langue maternelle.
« - Ouais je t’entends…
- Tant mieux ça m’aurait fait chier d’annoncer ton décès à la hiérarchie, j’ai horreur des papiers !
- Salope…
- Moi aussi je suis heureuse de te voir Nikki. »
Visiblement, aujourd’hui non plus elle ne rejoindrai pas l’autre côté.